Franchir la prochaine étape vers l’ordinateur quantique

Si l’informatique quantique a longtemps été perçue comme une discipline « ésotérique » qui ne pourrait intéresser que la recherche pure, une science de laboratoire, une forme mystérieuse de la connaissance aussi intrigante que les trous noirs — nous le verrons plus loin, cette analogie n’est pas là par hasard — elle est aujourd’hui sur le devant de la scène.

David HERRERA

“Le calcul quantique est au carrefour de plusieurs disciplines […], ça demande de comprendre la chimie, la physique, les mathématiques, les théories de la computation et de la complexité computationnelle… Le CEA est l’endroit idéal pour ça. La grande valeur philosophique du calcul quantique est que cette discipline nous aide à nous poser des questions sur la cognoscibilité de ce qui nous entoure.” 

Alors que les investissements des industriels sont en forte croissance, les pouvoirs publics français viennent d’annoncer une enveloppe de 800 millions d’euros pour soutenir la recherche dans le secteur de l’informatique quantique. La recherche s’intensifie. Cependant, la perspective d’un ordinateur quantique pleinement opérationnel est encore une visée à long terme.

Lauréat de l’appel à projets Science Impulse, avec l’ambition de lever certains verrous technologiques qui nous séparent de l’ordinateur quantique, David Herrera rejoint les équipes des instituts CEA-Leti et CEA-List.

Pendant les 3 prochaines années, il s’attèlera à la conception non seulement de processeurs quantiques (qubit) basés sur la technologie du spin, mais également à toute l’ingénierie logicielle relative aux ordinateurs quantiques. De cette architecture devrait naître une meilleure connaissance de l’avantage quantique dans une gamme d’applications allant de l’optimisation combinatoire à l’apprentissage machine.

 

L’ordinateur classique et l’ordinateur quantique

Les ordinateurs « normaux », tels que nous les connaissons, fonctionnent de façon séquentielle, et l’information est traitée sous forme de 0 et de 1. Du point de vue électrique, il est assez simple de se représenter un circuit ouvert ou fermé générant un bit. Un bit classique ne peut prendre que deux valeurs, 0 OU 1. Leur manipulation se fait à l’aide de portes logiques qui permettent d’effectuer des opérations élémentaires.

Un bit quantique ou qubit peut quant à lui se trouver dans une superposition de deux états quantiques distincts, notés |0> et |1>. La manipulation d’un bit quantique se fait à l’aide de portes quantiques. L’intrication quantique (superpositions de deux états), héritière de la superposition quantique, est la source d’avantages quantiques sous différentes formes et laisse supposer une rapidité d’exécution très importante.

 

Une brève histoire

La motivation pour construire un ordinateur quantique remonte à la fin du XXth siècle et visait à simuler les systèmes quantiques eux-mêmes. En effet, la simulation de tels systèmes à l’aide d’ordinateurs classiques demande beaucoup de mémoire et se trouve hors de la portée des machines les plus puissantes. L’utilisation de la cohérence de puces quantiques (la superposition stable d’un nombre potentiellement infini d’états quantiques) commence donc à faire son chemin, même pour des applications hors du seul champ d’intérêt quantique, pour la résolution de certains algorithmes comme celui de Peter Shor (factorisation d’entiers en nombres premiers) qui trouve des applications en cryptographie ou celui de Grover, utilisé pour accélérer la recherche dans des bases de données non structurées.

L’idéal de l’ordinateur quantique serait de multiplier des qubits « parfaits », capables de rester cohérents très longtemps pour exécuter les algorithmes. Pour l’heure, les qubits montrent une certaine instabilité dans le temps (phénomène de décohérence) et génèrent des erreurs. Malgré tout, la recherche sur les applications vise à obtenir un avantage sur le calcul avec des ordinateurs classiques, depuis 2014 principalement, même non parfait, même « bruité ». À terme, l’utilisation de nombreux qubits débouchera sur l’introduction d’algorithmes de correction d’erreurs et les ordinateurs quantiques pourront rester en état cohérent, ouvrant la porte à des calculs de durée arbitrairement longue.

 

L’état de l’art aujourd’hui et la recherche de David Herrera

Plusieurs pistes sont explorées pour concevoir les qubits au sein du CEA. Grenoble se concentre sur les semi-conducteurs avec des transistors à base de silicium, question de savoir-faire local, tandis que Saclay s’intéresse aux supraconducteurs parmi d’autres technologies. Pour l’instant, si la recherche sur les algorithmes est très avancée, aucune technologie d’architecture ne s’est véritablement démarquée. Toutes celles qui sont explorées restent onéreuses et compliquées à mettre en œuvre et demandent des températures de fonctionnement proches du zéro absolu (moins de 1 Kelvin). Les qubits utilisés au CEA de Grenoble sont ainsi plongés dans des cryostats qui nécessitent une machinerie considérable.

Les travaux de David Herrera se concentrent sur les portes quantiques, qu’il cherche à découper, afin de résoudre de petits problèmes, de générer des sous-unités, à travers une routine quantique en architecture NISQ dans un contexte d’apprentissage machine. Ces recherches devraient à terme déboucher sur un avantage quantique.

L’autre versant de son travail est en lien avec les laboratoires du CEA qui étudient le contrôle des qubits à travers une électronique de mesure et de contrôle (en architecture classique) relativement critique puisqu’elle fonctionne plongée dans des cryostats, avec les qubits. Et si ces derniers sont en effet capables de dissiper une certaine quantité de chaleur, ils sont onéreux. Des composants à faible consommation électrique sont encore et toujours un objectif à atteindre. Faire communiquer ce qui est à l’intérieur du cryostat avec la machinerie extérieure est également un sujet complexe à résoudre pour améliorer la boucle entre mesure et contrôle. En mesurant une partie des qubits, il est possible d’estimer le bruit, la dérive du système et d’y introduire des corrections. En ayant suffisamment de qubits, il serait même possible de le stabiliser à l’infini.

L’informatique quantique est intéressante en simulation de processus chimiques ou dans le secteur pharmaceutique, pour trouver de nouvelles molécules. On peut encore envisager les questions d’allocation des ressources sous contraintes, avec l’exemple du livreur qui doit trouver le meilleur chemin possible pour distribuer des colis. La solution est loin d’être évidente et l’on mesure l’intérêt qu’il y aurait à tester rapidement tous les chemins possibles à l’aide d’une machine quantique. acceptable Il faut cependant préciser que les heuristiques quantiques qui tournent sur des puces sans correction d’erreurs peuvent trouver des solutions acceptables, mais jamais la solution optimale.

Quoiqu’il en soit, l’état de l’art dans le sujet qui nous intéresse n’en est pas encore à l’ordinateur quantique permettant de faire tourner des algorithmes de façon plus efficace qu’un ordinateur classique. Il est fort possible en revanche que la première démonstration soit relativement proche.

 

Et la philosophie dans tout ça ?

Si l’idée circule de pouvoir un jour tout calculer, tout simuler, le fait que l’on pose la question nous ramène certes aux mathématiques, à l’algèbre, à la chimie ou à la physique, mais la dimension épistémologique surgit immanquablement. L’informatique quantique se trouve au carrefour de disciplines variées, où la philosophie entre dans le champ de vision que nous pouvons en avoir. Et si l’humanité était en capacité de comprendre tout ce qui se passe autour d’elle — il n’est pas certain que ce soit le cas — par principe, serait-ce une bonne chose ? David Herrera soulève cette question avec passion. Nous faut-il tout connaitre ? L’avis personnel de David Herrera est que le calcul quantique nous aide à nous poser des questions sur la calculabilité de ce qui nous entoure.

 

Le parcours de David Herrera

David Herrera est diplômé en physique et détenteur d’un Master de recherche en télécommunications de l’université de Valence, en Espagne. Il y établit un premier contact avec la physique de haut niveau. Il fait ensuite une thèse en Angleterre, à l’Imperial College de Londres puis travaille comme chercheur sur les codes correcteurs d’erreurs successivement à Singapour puis en Israël. Suite à ces expériences, il arrive en France, à Grenoble, où il intègre l’Institut Néel du CNRS au sein duquel il se penche sur la thermodynamique et le contrôle quantique.

Il quitte le secteur public pour rejoindre le privé, et après quelques expériences en apprentissage machine, intègre Atos, comme expert chargé du support pour les entreprises et les groupes de recherche acquéreur de machines de simulation de qubits (qui permettent entre autres de faire des prototypes d’applications quantiques).

Le défi proposé par le CEA dans le cadre de Science Impulse, intitulé « imaginez l’architecture de l’ordinateur quantique du futur ».

Son intérêt pour la physiqueet les sciences en général s’est éveillé tôt, vers l’âge de 10 ans, en lisant un ouvrage pour enfants parlant des planètes, ouvrage auquel il ne comprenait pas grand-chose [sic] mais aux analogies parlantes qui l’ont fortement impressionné (si l’atome est un ballon de foot au milieu du stade, alors l’électron est une mouche qui vole autour de lui en dehors du stade). La matière est donc faite de beaucoup de vide. Puis sa grand-mère lui a donné de l’argent de poche avec lequel il s’est acheté… un livre de Stephen Hawking !

Il n’a finalement pas fait d’astrophysique, mais précise tout de même que les trous noirs sont modélisés comme des ordinateurs quantiques.

Writing/Translation : Sara FREITAS – Christophe JARDIN

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